La Critique des armes

Une histoire d’objets révolutionnaires sous la IIIe République

  • Titre: La Critique des armes
  • Auteur(s): Éric Fournier
  • Date de sortie: Février 2019
  • Éditeur(s): Édition Libertalia
La critique des armes

{ Initialement publié sur le site DISSIDENCE } Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque, suivi d’un entretien avec l’auteur.

Avec ce riche ouvrage, transposition de son travail de HDR[1], Éric Fournier semble poursuivre son travail d’investigation des mémoires, qu’il avait mené dans La Commune n’est pas morte[2], à ceci près qu’il a centré son approche sur les cultures matérielles. Avec, en filigrane, ce questionnement d’une trop évidente certitude historiographique : l’abandon des armes, de la part des mouvements révolutionnaires de gauche, aux lendemains du traumatisme de la Semaine sanglante (mai 1871). Pour ce faire, Éric Fournier s’est efforcé de saisir tous les éléments renseignant sur « les usages révolutionnaires des armes » (p. 15), de 1871 jusqu’aux immédiates années de l’après Seconde Guerre mondiale. Fort joliment, il qualifie lui-même son travail d’« histoire effilochée », le plaçant sous le patronage de Daniel Arasse et Marcel Mauss ; son idée est de scruter les interstices, les détails d’événements plus ou moins connus, à la recherche de faits révélateurs, de possibles interrompus.

Ainsi, dans son évocation de la grève de Denain en 1872 et de sa répression, où certains manifestants étaient armés de revolvers, il fait un pas de côté pour relever plutôt le désarmement de certains soldats effectués par des grévistes, acte autrement plus subversif. La Bande noire – sujet sur lequel Dissidences avait publié un article d’Emmanuel Germain dans une des livraisons de sa revue électronique[3] – lui sert à montrer que l’emploi des armes témoigne d’une révolution censément en cours : « (…) l’arme apparaît précisément ici réduite à sa fonction légitimante et mobilisatrice plus qu’effectivement combattante. » (p. 55-56). Très intéressante, également, la synthèse qu’il propose sur l’effacement de la prise d’armes, plus complexe et inégal que ce que l’on pourrait penser. La distance manifestée par les socialistes fut ainsi effective principalement à compter des années 1890, face à la modernité écrasante du fusil Lebel, tandis que les anarchistes de la propagande par le fait, par leur mise en exergue de la dynamite, s’inscrivaient dans une forme d’exaltation d’armes de destruction massive que la Commune rêvait de mettre au point ! Autre exemple de cette dichotomie, la popularisation de la grève générale s’accompagnait d’un recul des armes, devenues inutiles, recul toutefois partiel et localisé dans le temps, puisque La Guerre sociale ou Comment nous ferons la révolution d’Émile Pouget et Émile Pataud les réintroduisaient ou les exaltaient par le verbe. Le 1er mai 1891 à Fourmies vit un autre phénomène : le détournement de l’ordre de tirer sur les manifestants par certains conscrits. On découvre également que le Lebel, personnifié, en vint à représenter un danger par lui-même, en lui-même, s’imposant tel une arme-vampire au soldat. C’est l’occasion pour Éric Fournier de suivre la généalogie de la fameuse crosse en l’air, de la Révolution (les gardes nationaux accueillant le roi de retour de Varennes, une position normalement réservée à la mort du roi – puissant symbole) aux Canuts et à la révolution de 1848 (la crosse en l’air valant fraternisation en actes), la Commune représentant un basculement par sa violence ciblée contre les officiers.

La revendication de milices citoyennes, avancées entre autres par Édouard Vaillant dans une proposition de loi, insiste justement sur un réel ancrage populaire, que l’auteur distingue bien d’une revendication similaire émanant de la droite révolutionnaire d’alors, dans la mesure où cette dernière préconise le ralliement de l’armée et des officiers, définitivement passés pour la gauche dans le camp de la réaction. La révolte des « mutins du 17e », en 1907, ouvre justement ce qu’Éric Fournier nomme une « brèche révolutionnaire » (p. 151), s’écartant d’une vision avancée par plusieurs historiens, celle d’une simple rébellion républicaine. Cet épisode reste néanmoins le dernier à exercer la fameuse crosse en l’air. La même période, la seconde moitié des années 1900 donc, est d’ailleurs marquée par un retour en force des armes (de poing) dans les manifestations. Mais leur impact sur les forces de l’ordre est utilement relativisé par l’auteur – nombre de tirs s’effectuent en l’air –, dissipant les mirages d’une propagande gouvernementale n’hésitant pas à invoquer des centaines de tirs, bien qu’aucun blessé grave ne soit à relever dans les rangs policiers ! Autre élément appelant à voir d’un autre œil cet armement, le fait que la matraque policière soit utilisée d’une manière autrement plus violente qu’aujourd’hui, ce qui peut justifier la légitime défense manifestante. Il n’est pas jusqu’à certaines féministes, telle Madeleine Pelletier en 1911 (« porter un revolver (…) rend plus hardi »), qui réclament le port d’armes, voire le service militaire, pour les femmes. Le tournant est sensible autour de 1910, un régime de masculinité cédant la place à un autre, avec l’apparition des services d’ordre propres aux cortèges, ou la distance prise par plusieurs courants révolutionnaires à l’égard des affaires Liabeuf et Bonnot[4] ; un Gustave Hervé étant sur ce point très isolé. C’est lui, justement, qui popularisera un temps avec La Guerre sociale le « citoyen Browning », symbole d’une modernité technique accessible et reflet d’une littérature populaire (les aventures de Nick Carter en particulier, traduites dès 1907). Le sujet amène Éric Fournir vers la fusion de l’homme et de l’arme, de la machine, dont il retrace la généalogie avec les « piques » de la Révolution ou les « baïonnettes intelligentes » du milieu du XIXe siècle. Il ne met, malheureusement, nullement à profit le patrimoine, alors en vogue, du « merveilleux scientifique » (avec des romans comme Ignis ou Le Docteur Lerne, sous-dieu, entre autres).

Enjambant ensuite la Première Guerre mondiale, l’étude pointe une faible présence des armes lors des conflits sociaux de 1919, en une évidente continuité avec l’avant-guerre, quand bien même certains militants plus radicaux invoquent la mitrailleuse. Une mutation a également lieu au sein de la matrice communiste. Le mouvement appelle en effet à une prise d’arme, mais contrôlée par le parti, au moment de la révolution, ce qui déconsidère le revolver – trop individuel et associé en outre aux officier de 14-18 – comparativement aux fusils. Le modèle de l’insurrection (généralisé dans l’ouvrage de Neuberg[5]) réactive toutefois un antimilitarisme offensif (la mitrailleuse issue de l’espace colonial est ainsi à retourner contre les chefs), dans le même temps ou chez les anarchistes, l’antimilitarisme défensif et l’objection de conscience se développent comme jamais. Éric Fournier cite même un exemple extrême, celui d’une souscription organisée par les Jeunesses communistes à la charnière des années vingt et trente, visant à fournir des mitrailleuses à l’Armée rouge ! Une initiative sans doute commandée de Moscou, et qui ne fut pas menée jusqu’à bout par manque d’adhésion. De manière plus générale, la propagande communiste subjugue le présent militant à la révolution russe, sans réelle profondeur historique, exploitant l’héritage de l’histoire française. Études de cas révélatrices, les fusillades qui opposèrent au mitan des années 1920 des militants du PCF et des syndicalistes révolutionnaires au cours d’un meeting, ou celles qui virent s’affronter communistes et Jeunesses patriotes, avec des morts à chaque fois. Intervenues dans un contexte tendu – celui de la marche sur Rome, de la bolchevisation et de la formation de centuries de défense – et résultant d’initiatives individuelles, elles firent l’objet de vives critiques, amenant le PCF à déconsidérer les armes à feu dans le cadre de l’autodéfense.

Il faut attendre les événements du 6 et du 9 février 1934 pour voir le retour des armes à feu et des tirs (côté manifestant et côté policier, d’ailleurs), un retour éphémère, toutefois, les directions communiste et socialiste jouant un rôle pacificateur en la matière, avant que les décrets Daladier n’aboutissent, en 1939, à un durcissement législatif sur le port d’arme toujours d’actualité. Les rumeurs d’arsenaux secrets fascistes ou communistes n’en eurent pas moins un grand succès dans les années du Front populaire. Mais « Définitivement, pour les groupes révolutionnaires, l’objet arme a perdu toute charge valorisante. Elle est le propre du gangster, de l’assassin ou du fasciste. » (p. 373). On retrouve sur ce point une distinction claire entre extrême gauche et extrême droite, tant « L’arme fasciste est donnée par un chef, relève d’un lien personnel et non d’une gestion collective ou d’une prise d’armes ; elle est légitimée par le temps de la guerre et la force du sang. » (p. 383). L’ouvrage se clôt avec l’évocation et l’analyse des événements de 1947-1948, situation sociale incandescente, voire insurrectionnelle dans certains foyers géographiques[6], allant jusqu’à l’appel de l’État à l’armée. C’est toutefois un antimilitarisme défensif, qui domine, fait de fraternisations joyeuses et pacifiques, une étape supplémentaire dans le processus de délégitimation des armes.


« Cinq questions à… Éric Fournier »

(entretien réalisé par voie numérique en juillet 2019)

Dissidences : Comment le choix d’un sujet aussi original pour votre Habilitation à diriger des recherches vous est-il venu ? N’aviez-vous pas peur, au départ, de ne pas disposer de suffisamment d’éléments intéressants ?

Éric Fournier : La part des armes en politique, en France au XIXe siècle, ne m’était pas totalement inconnue. Dès la maîtrise, je m’étais intéressé aux armes des bouchers de La Villette, nervis antisémites pendant l’affaire Dreyfus, tant dans leur dimension matérielle que symbolique : leurs cannes plombées pouvant rappeler le merlin de l’abattoir ; leur armement global – matraque, poings américains, pas d’armes à feu – restant celui de délinquants et non d’insurgés ou de putschistes. Lors de la thèse, consacrée aux destructions de Paris d’Haussmann à la Commune, une attention particulière était apportée aux modalités d’incendie et aux armes démiurgiques imaginées par des communards ayant foi dans la science.

En septembre 2013, j’ai l’intuition que la vulgate historiographique de l’adieu immédiat et total aux armes après la Commune peut être interrogée pour une raison évidente : des armes à feu sont présentes, tels des détails saisissants, dans les luttes sociales sous la IIIe république, et dans les imaginaires sociaux de la constellation révolutionnaire. De plus, ces armes ne peuvent être réduites à leur fonction destructrice. Elles restent des artéfacts politiques, porteurs d’une souveraineté spécifique, celle du citoyen-combattant insurgé, celui de 1789, 1792, 1830, 1848, qui n’a donc pas totalement disparu après 1871.

Ainsi, en variant les échelles, en articulant une histoire au ras du sol et celle des représentations ; en accordant une égale dignité à toutes les présences des armes en politique, matérielle ou discursives, de L’Armée nouvelle de Jaurès au revolver brandi par un obscur anarchiste en meeting, s’assemble au contraire une dense série d’éléments, formant une nébuleuse, certes éparse et inégale tant certains événements ne se prêtent guère à de longs développements, alors que d’autres, la crosse en l’air par exemple, sont d’une vive intensité.

J’étais donc confronté à une histoire faites de détails des luttes sociales qui troublent le supposé « adieu aux armes », comme autant de fils qui dépassent sur une trame moins lisse que prévue. Mais j’ai vite compris qu’il ne fallait pas tirer ces fils au risque d’une surinterprétation, au risque de se laisser fasciner par les armes et de céder aux sirènes des « contre-histoires », un peu trop à la mode aujourd’hui. Car, de fait, il n’y a plus d’insurrections armées en métropole après 1871.

Pour éviter ces écueils, j’ai forgé et expérimenté un outil méthodologique : l’histoire « effilochée ». A la suite de la micro-Histoire, les détails sont habituellement considérés comme éminemment révélateurs. On tire sur un fil et la trame, la structure se dévoile. Mais que faire si on tire sur un fil et que presque rien ne vient ? J’ai alors mobilisé l’étude du détail menée par Daniel Arasse, un historien de l’art, qui souligne que le détail n’est pas nécessairement révélateur mais peut être singulier, irréductible, souligner un écart ou une résistance ; comme il peut parfois reconfigurer le sens global d’un tableau.

Bref, de 1872 à 1948, les armes apparaissent comme des détails foisonnants mais incertains des luttes révolutionnaires, détails, parfois au sens d’Arno Ginzburg mais aussi au sens où l’entend Arasse ; quelques fils qui dépassent et qui, si on tire dessus, mettent au jour une trame englobante ou effilochent le récit des événements. Dans La Critique des armes, il y a quelques fils rouges, mais, autant, sinon plus, de fils interrompus, qui, situés dans un temps bref mais intense, ont leur sens propre, autonome. Cette façon de procéder me permet d’étudier et d’assembler des événements d’une inégale densité et de ne pas reléguer ce qui semble a priori insignifiant. L’histoire « effilochée », autre vertu, est aussi un antidote contre toute forme de finalisme ou de téléologie.

Dissidences : Avez-vous constitué votre corpus, qui se révèle particulièrement large, de manière empirique, ou bien avez-vous méthodiquement visité les dépôts d’archives pouvant alimenter votre sujet ? Pourquoi n’avez-vous pas pu utiliser plus largement les ressources de Vincennes ?

Éric Fournier : J’ai constitué mon corpus de manière totalement empirique, partant des événements où des armes sont présentes. Dans un espace politique républicain présenté comme pacifié, le surgissement des armes attire l’attention, mais pas autant que ce que l’on pourrait supposer de prime abord, car de 1885 à la fin des années 1920, la législation sur la possession et le port d’armes est particulièrement libérale, comparable peu ou prou à la législation américaine actuelle. Les armes à feu sont alors des biens de consommation légaux, suscitant assez peu l’intérêt étatique en soi. J’ai pourtant sondé systématiquement les inventaires des séries F/7 des Archives nationales, ceux de la préfecture de Police de Paris et de quelques archives départementales, souvent en vain : il n’y a pas de fonds « armes ». Il fallait définitivement partir des événements et explorer ensuite les archives. Les seuls fonds d’archives avant les années vingt concernent essentiellement les sociétés de tir. Tout change lors de la crise des années trente. La législation ne cesse de se durcir, la surveillance étatique également, et la perspective d’une guerre civile, d’un coup d’État fasciste, ou d’une subversion communiste placent, après le 6 février 1934, les armes au cœur des tensions politiques. Il y a alors des cartons entiers d’enquêtes policières dévolus à cette question, de 1934 à 1938.

Le SHD de Vincennes s’est révélé assez décevant, et ce pour plusieurs raisons. La part des armes en politique, y compris celles des forces militaires de maintien de l’ordre, relève des autorités civiles. Par exemple, le SHD est bien moins disert sur la mutinerie des hommes du 17e en 1907 que les Archives nationales, où sont regroupés les divers rapports et enquêtes. Les archives militaires relatives à l’emploi de l’armée dans les grèves traitent essentiellement de l’intendance, logement et nourriture des troupes par exemple, en tout cas celles que j’ai pu consulter, car le SHD a procédé à un reclassement de certains fonds sans établir d’index de correspondances entre anciennes et nouvelles côtes, ce qui complique singulièrement le travail. J’ai dû ainsi renoncer à lire certains rapports relatifs au drame de Fourmies, devenus introuvables. Mais, heureusement, grâce aux archives policières et judiciaires, conservées aux AD du Nord, on peut être au plus près de la troupe, au cœur de l’action, consignée dans les rapports de la police et de la gendarmerie.

Dissidences : En travaillant sur la mémoire de la Commune, les ruines de Paris ou la perception des armes dans la culture révolutionnaire, vous vous apparentez à un historien spéléologue. Avez-vous le sentiment d’être un chercheur à part ? Quels travaux issus de démarches similaires mais d’autres chercheurs pourriez-vous conseiller ?

Éric Fournier : En toute sincérité, j’ai plus le sentiment d’être un honnête travailleur universitaire plutôt banal, dont l’apparente originalité s’atténue dès qu’on l’inscrit dans des écoles ou des tendances historiographiques. Je suis venu à la recherche grâce à Alain Corbin, ce qui invite certes à élaborer des objets un peu inattendus, et globalement je relève d’une histoire socio-culturelle, articulant inlassablement pratiques et imaginaires sociaux, ce qui n’est pas très original.

Ainsi, mon travail reprend ceux sur « la culture des armes » du citoyen-combattant de 1848, mise en évidence par Louis Hincker, un autre élève de Corbin ; tandis que l’articulation entre pratiques, dispositifs, sensibilités et imaginaires, sur un objet politiquement signifiant, se retrouve, avec brio, dans le Biribi de Dominique Kalifa, par exemple.

En ce qui concerne l’histoire « spéléologue » des mémoires révolutionnaires, avec une attention au détail, je ne peux que conseiller, entre autres, les ouvrages de Guillaume Mazeau, notamment celui sur Marat et Corday (Le Bain de l’Histoire) qui va beaucoup plus loin que moi dans cette histoire « spéléologue ».

Dissidences : Pensez-vous que cette évolution heurtée menant à une forme de délégitimation des armes au sein des mouvements révolutionnaires est similaire dans d’autres pays que la France ? S’agit-il d’une norme internationale ? Peut-on imaginer qu’elle s’estompe et autorise à l’avenir un retour des armes ?

Éric Fournier : Cette délégitimation progressive procède de tendances globales valables pour l’ensemble de l’Europe occidentale, au moins : un nouveau régime de masculinité, plus maitrisé et moins violent ; et, fondamentalement, le resserrement des liens entre État et société, l’emprise croissante du premier qui affermit un monopole de la violence physique légitime, de moins en moins contesté. De plus, avec les armées de conscription, la prise d’armes cesse d’être l’exercice d’une souveraineté, au sein d’une garde nationale par exemple, pour être l’apanage du service militaire, quintessence du devoir civique sous le signe de l’obéissance. Enfin, du point de vue des groupes révolutionnaires, l’entrée dans « l’ère des organisations » politiques contribue, au début du XXe siècle, à marginaliser les armes, objets indisciplinants, alors que s’affirme, au sein des milieux révolutionnaires, une exigence croissante de discipline. Tout ceci n’est pas propre à la France.

Pourtant, parallèlement au moment même où l’on croit l’adieu aux armes acté, vers 1905 en France, l’insurrection est spectaculairement relégitimée par la révolution russe de cette année-là, et ce à l’échelle européenne. En histoire, rien n’est jouée d’avance. Pourrait-on assister à un retour des armes en politique ? Peut-être, sous l’effet de plusieurs facteurs, bien présents aujourd’hui : l’illégitimité croissante du monopole de la violence exercée de plus en plus arbitrairement par un État de plus en plus répressif, mutilant et meurtrier ; mais aussi le constat du retour d’une certaine forme du virilisme en politique, ce qui n’est pas très rassurant.

Dissidences : Le nouveau projet que vous évoquez en conclusion, la culture des armes en milieu colonial, pourrait s’effectuer dans quel cadre, avec quelles sources ? Avez-vous déjà des intuitions inspirantes quant à ce projet ?

Éric Fournier : Il apparaît flagrant que, à hauteur d’armes, les situations coloniales et métropolitaines sont incomparables : dans les territoires colonisés, la guerre n’est jamais loin ; la République valorise le citoyen-soldat en métropole, les races guerrières aux colonies ; le droit à l’arme est garanti en France, et interdit par le code de l’indigénat, etc.

N’étant aucunement spécialiste des questions coloniales, je ne peux qu’inviter à explorer ces pistes sans prétendre pouvoir signaler des sources précises. Mais cela ne devrait pas être trop difficile, car à la différence de la métropole, les armes sont surveillées. Un point de départ intéressant pourrait être la piste des trafiquants d’armes, très nombreux, et dont on repère la trace aux Archives nationales, dans plusieurs cartons.

Pour ma part, mon nouvel objet de recherche lié aux armes, actuellement en cours de défrichement, est une histoire mondiale du fusil au XIXe siècle, en réutilisant certaines approches mises en œuvre dans La Critique des armes. Mais, vu l’ampleur de l’objet, ce sera plus une synthèse qu’un défrichement d’archives.

Notes

[1]Habilitation à diriger des recherches, la plus haute qualification universitaire qui permet à un enseignant de diriger des thèses de doctorat.

[2]Éric Fournier, La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, Paris, Libertalia, 2011, compte rendu sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/3235

[3]Voir https://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=215. Lire également le compte rendu de l’ouvrage de Yves Meunier, La Bande noire. Propagande par le fait dans le bassin minier (1878-1885), Paris, L’échappée, 2017, sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/8471

[4]Sur ces points, voir Anne Steiner, Le Goût de l’émeute, chroniqué sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/4447

[5]A. Neuberg, L’Insurrection armée, Paris, François Maspero, 1970 (fac-similé de l’édition originale de 1931), réédité en 2019 par Radar/La Brèche (Paris).

[6]En 1947, en décembre, à Béziers les communistes occupent les bâtiments officiels et chassent le sous-préfet le 2 ; lors d’émeutes à Valence, trois grévistes sont tués par les forces de l’ordre le 4 ; à Saint-Etienne, la préfecture est attaquée et des gendarmes sont faits prisonniers par les manifestants, également le 4. En 1948, le 15 juin, à Clermont-Ferrand, la population affronte les policiers et l’armée appelée en renfort : 200 blessés ; en octobre, les mines en grève sont occupées par les CRS puis par l’armée, avec des émeutes à Saint-Etienne, Montceau-les-Mines et Carmaux, et deux mineurs sont tués à Firminy le 22 et un à Alès le 26. (note de Christian Beuvain).