L’occultisme nazi : Entretien avec Stéphane François

  • Titre: L'occultisme nazi
  • Auteur(s): Stéphane François
  • Date de sortie: 13 Avril 2020
  • Éditeur(s): CNRS Éditions
Stéphane François- L’occultisme nazi

{ Publié sur LaHorde } | Avec son dernier livre l’Occultisme nazi, Stéphane François revient une nouvelle fois sur une thématique qu’il étudie depuis de nombreuses années. Comme il l’a expliqué dans l’interview qu’il nous a accordée, il s’agit sans doute de son dernier livre sur le sujet. A l’origine du livre il y avait différents articles se rapportant à ce thème. Après les avoir retravaillés et mis à jour, nous avons un ouvrage qui aborde la réalité historique des origines et des liens entre le nazisme et l’ésotérisme ainsi que les raisons de la persistance de certains mythes. Enfin dans une deuxième partie Stéphane François dresse une série de portraits d’individus qui chacun à leur manière ont alimenté cette thématique qui se justifie totalement d’autant qu’elle permet d’aborder plus en détails la réalité historique de cet occultisme nazi.

Tout au long des pages de cet ouvrage plane l’ombre du livre Le Matin des Magiciens, qui est à l’origine de bien des mythes concernant les liens entre occultisme et nazisme.

Et si encore aujourd’hui on peut trouver sur Internet ou dans une certaine presse historique ou pseudo-scientifique une littérature complètement délirante sur cette thématique, on le doit au Matin des Magiciens, qui sert le plus souvent de sources

Entretien avec Stéphane François

[ La Horde ] – Pourquoi consacrer un nouvel ouvrage à l’occultisme nazi ?

J’ai été frustré lors de la parution des Mystères du nazisme (PUF, 2015) et des contraintes imposées par l’éditeur et le directeur de la collection : pas de notes de bas, ou peu, une bibliographie succincte, un texte « grand public », etc. Un comble pour un éditeur universitaire de référence. J’ai alors décidé de reprendre un certain nombre d’articles – dont je comptais utiliser des éléments pour cet ouvrage – que j’ai complété et réécrit durant quatre ans. Je remercie d’ailleurs chaleureusement mon éditeur qui m’a fait confiance sur ce projet, qui se vend bien apparemment. Il y a donc encore un lectorat pour des études un peu aride. Par contre, il sera mon dernier livre sur la question, je pense que cette fois-ci, j’ai fait le tour du sujet.

Jacques Bergier et Louis Pauwels avec leur livre Le Matin des Magiciens tiennent une place importante dans votre étude. Pouvez-vous les présenter et nous expliquer leur rôle dans la diffusion de nombreuses légendes autour de l’occultisme nazi ?

Jacques Bergier était un ingénieur, devenu après-guerre un vulgarisateur scientifique et de la littérature fantastique. Ainsi, il fut l’un des premiers à faire connaître Lovecraft en France. Il a d’ailleurs dirigé plusieurs collections éditoriales. Il était aussi journaliste et écrivain. Juif ukrainien, il a été déporté. Mythomane, il a réécrit son passé après-guerre : il aurait été agent secret, en contact avec l’alchimiste Fulcanelli, etc. Il a été l’un des promoteurs dans les années 1960 et 1970 d’une forme d’irrationalisme, en particulier du paranormal et de la thèse des « anciens astronautes », dont nous trouvons des échos et les ravages dans la série Alien Theory. C’est un personnage littéralement hors-norme, qui est mort dans une certaine pauvreté.

Quant à Louis Pauwels, il s’agissait d’un journaliste et d’un écrivain très marqué à droite. Il a travaillé à Combat, mais il est surtout connu pour avoir créé le Figaro Magazine dans lequel il fit entrer un nombre important de néo-droitiers, comme Alain de Benoist, Jean-Claude Valla, Michel Marmin. Lorsqu’il publie, avec Bergier, Le Matin des magiciens en 1960, il est déjà connu et a déjà publié des livres.

Le Matin des magiciens mélange des éléments fictifs avec quelques faits réels, dont l’objectif est de réenchanter, par la fiction un monde de plus en plus sécularisé. C’est l’acte de naissance du « réalisme fantastique », une nouvelle catégorie littéraire. D’ailleurs, le sous-titre est explicite : « Introduction au réalisme fantastique ». Les auteurs le situe d’emblée aux marges de l’authentique et de la fiction, développant des thèmes ésotérisants. Le livre se décompose en trois parties : la première rejette le scientisme ; la deuxième développe l’idée d’un nazisme foncièrement occulte ; la dernière évolue aux frontières du transhumanisme et du paranormal, développant l’idée que l’homme n’utilise pas l’intégralité de ses capacités mentales. Pourtant, les lecteurs de ce livre, parfois bancal – un chapitre inexistant est annoncé dans le sommaire – l’ont lu comme une œuvre de non-fiction. Il a été un best-seller, dont le succès a surpris ses auteurs : il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, et traduit en plusieurs langues. Le livre a donc provoqué un grand nombre de vocations. La plupart de celles-ci a été fascinée par la deuxième partie, sur l’« occultisme nazi ». En fait, encore aujourd’hui, on réduit ce livre à cette deuxième partie. Le Matin des magiciens a donc joué un grand rôle dans la diffusion de cette thèse.

Est-ce qu’il existait une littérature sur cette thématique avant eux ?

Oui, il en existait une, venant principalement des milieux catholiques. Ceux-ci ont été les premiers à voir dans le nazisme un mouvement païen et/ou satanique. La politique antichrétienne du régime nazi, ainsi que la persécution croissante des catholiques allemands a donné naissance à toute une littérature que Bergier et Pauwels ont visiblement lue et qui a été utilisée comme matière première de leur livre. Les deux ont également assimilé des ouvrages ésotériques, tels ceux de l’extrémiste de droite Pierre Mariel, qui évoluait aux marges d’un catholicisme intransigeant et de l’ésotérisme (il était franc-maçon, et à l’origine, avec d’autres, de la loge de recherche Villard de Honnecourt). D’ailleurs, celui-ci a publié un ouvrage traitant de l’occultisme nazi (Le Nazi société secrète, J’ai lu, 1972) sous le pseudonyme Werner Gerson.

Dans la continuité du Matin des Magiciens et de la revue Planète, des éditeurs comme J’ai Lu (l’Aventure mystérieuse) ou Robert Laffont (Les énigmes de l’univers) ont-ils multiplié les livres sur ce sujet dans les années 70-80 ou publié des auteurs comme Jacques de Mahieu ? Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Le sujet était à la mode, il faut bien le reconnaître, à cette époque et le succès du Matin des magiciens a permis la création de nouvelles niches éditoriales, telle celle du « réalisme fantastique », qui fut un paravent pour l’édition d’un grand nombre d’ouvrages relevant de l’occultisme. À l’époque, le moindre livre sur l’« histoire mystérieuse », dont relève la littérature de l’ « occultisme nazi », se vendait à plus de 50 000 exemplaires, y compris ceux –nombreux – franchement mauvais. Les directeurs de ces collections publiaient le moindre manuscrit développant ces thématiques. Plusieurs auteurs d’extrême droite en profitèrent.

C’est le cas de Jacques de Mahieu qui publia deux livres dans la collection de Robert Laffont : L’Agonie du Dieu Soleil. Les Vikings en Amérique du Sud en 1974 et Les Templiers en Amérique en 1980. Mabire y publia également, en 1978, son ouvrage le plus ouvertement nazi, Thulé, le soleil retrouvé des hyperboréens. Nous pourrions aussi citer Marc Dem, Jean-Paul Bourre, Jean-Michel Angebert ou Robert Charroux. Mais il est vrai que certains directeurs de ces collections penchaient ouvertement à droite, voire à l’extrême droite. Le racisme affleure souvent d’ailleurs, mais pas de façon consciente : une part importante des ouvrages de ces collections cherchent à « prouver » que les civilisations complexes de l’Antiquité (Égypte, Indus, empires Incas ou Aztèque, etc.) n’ont pu bâtir leurs monuments qu’avec l’aide soit des extraterrestres, soit de Blancs (vikings par exemple), niant implicitement la capacité de ces civilisations à faire preuve d’innovations techniques/scientifiques.

Est-ce qu’il a été difficile dans vos recherches de démêler le vrai du faux concernant l’occultisme nazi?  Visiblement il arrive que certains historiens ou chercheurs se laissent avoir par certains écrits peu scrupuleux.

Oui et non : oui, surtout au commencement de mes recherches car il a fallu à la fois assimiler les connaissances et cette littérature. Ce fut un travail de longue haleine, je dois bien le reconnaître, la littérature sur ces thématiques étant particulièrement importante. Ensuite, avec l’expérience, et l’expertise qui en découle, il devient aisé de cerner les propos problématiques, y compris chez les universitaires. Ainsi, j’ai corrigé certains points chez Nicholas Goodrick-Clarke, les discutant avec lui, en particulier dans son Black Sun, paru en 2003. Moi-même, je ne suis pas protégé de l’erreur. Il m’est arrivé plusieurs fois de réviser mon propos ou de corriger des informations qui se sont avérées fausses. Je l’ai fait, par exemple, dans mes recherches sur Jacques de Mahieu. Le chapitre qui lui est consacré dans mon livre est très différent de l’article initial, en particulier en ce qui concerne sa biographie.

Est-ce que la thématique de l’occultisme nazi (société de thulé, loge du vril …) en France aujourd’hui n’aurait pas plus d’impact sur les milieux complotistes que sur l’extrême droite classique ?

Dans l’absolu, je suis d’accord avec vous. Il suffit de surfer sur le web pour se rendre compte qu’ils sont mis en avant par des sites évoluant aux marges du New Age et du complotisme. Cependant, Jacques de Mahieu est de nouveau réédité, notamment dans la collection « Vérité pour l’histoire » de Dualpha… Des auteurs comme Savitri Devi ou Miguel Serrano le sont également par des éditeurs radicaux, chez Ars Magna pour la première et L’Homme libre pour le second. Il y a encore un intérêt pour ces questions chez les militants les plus radicaux de l’extrême droite. Mais ces éditeurs relèvent-ils de l’« extrême droite classique » ? Comment la délimiter ? Si nous la réduisons à l’électorat du Rassemblement national, assurément, ce lectorat se trouve ailleurs, dans des sphères plus radicales… comme les franges hétérodoxes du néonazisme.

Peut-on dire que ce sujet est porté à l’extrême droite par des personnalités marginales ou excentriques ?

Durant la révision du texte de L’occultisme nazi, et parallèlement à la lecture du livre de Nicolas Lebourg, Les nazis ont-ils survécu ?, j’ai réalisé que ces thématiques n’étaient pas le fait de seuls marginaux (« lunatic fringes ») de l’extrême droite, mais qu’il y avait des liens avec l’extrême droite « sérieuse », notamment avec des courants qui se piquent d’intellectualisme comme la Nouvelle Droite… Plusieurs de ses cadres ont évolué dans les deux milieux. Il me reste donc un dernier chapitre à écrire. Il faut comprendre que ces milieux ne sont pas imperméables, loin de là. En 1977, Alain de Benoist, dans sa notice sur les Vikings en Amérique, dans Vu de Droite, cite élogieusement Jacques de Mahieu. Son ami Jean-Claude Valla, fondateur du GRECE comme Benoist, soutenait l’origine viking des civilisations précolombiennes et avait été un correspondant de la World Union of National Socialists… Tout cela est donc complexe.

Vous évoquez Savitri Devi ou Miguel Serrano, mais paradoxalement ces personnes n’ont jamais appartenu au régime nazi. Pour quelles raisons ces individus ont développé une vision du nazisme complètement déconnectée de la réalité historique ?

Ces militants ont grandi durant les années 1930, ils ont pourtant vu la chute piteuse du nazisme en 1945. Malgré tout, ils ont développé un discours dans lequel les nazis n’ont pas disparu. Ce type de construction intellectuelle relève à la fois de la foi et de l’idéologie : le nazisme ne pouvait pas disparaître et être vaincu car il était porteur, selon eux, d’une nouvelle bonne parole… Il y a un aspect ouvertement millénariste dans une telle position. Comme la réalité historique fracasse leur idéologie, il leur a fallu trouver une échappatoire : Hitler n’est pas mort, il s’est réfugié dans une base secrète nazie en Antarctique. Cela est très proche de certains discours mystiques et ésotériques qui soutiennent que tel roi (Arthur, Barberousse ou Sébastien) ou tel dignitaire religieux (l’imam caché des chiites) n’est pas mort, mais se serait occulté, ou endormi, attendant que son peuple le sollicite de nouveau. Plusieurs anciens SS, dont Saint-Loup, ont cherché durant plusieurs années le lieu où se serait réfugié le Führer. C’est un stratagème intellectuel qui les protège à la fois de la folie et d’accepter le constat que leur idéologie, supposée invincible, a été vaincue par des éléments raciaux inférieurs.

Par contre, il est rare de trouver de telles constructions chez les nazis historiques. Le cas de Landig, ancien SS autrichien adepte d’un ésotérisme nordique, est une exception : les rescapés du régime n’ont, pour la plupart, jamais abdiqués leur conviction idéologique, mais ils ne sont pas réfugiés pour autant dans ces délires. Certains sont restés des païens militants ou ont transmis l’antichristianisme du régime aux jeunes générations, mais sans sombrer dans ce bricolage religieux. Celui est principalement le fait d’activistes qui n’ont jamais expérimenté le nazisme en Allemagne durant le Troisième Reich. C’est symptomatique d’une idéalisation de cette idéologie.

Est-ce qu’il existe encore des courants de pensée ou des individus qui diffusent ce type de thématiques en 2020 ?

Oui. Les principaux courants encore influencés par ces thématiques se trouvent surtout dans les franges radicales du néonazisme, ou d’une pensée qui se dit « identitaire »… Ainsi, il y a des ouvrages qui sont publiés sur le Wewelsburg ou qui traitent de la supposée écologie païenne des nazis. Les catalogues d’éditeurs comme le Lore ou L’Homme libre sont, à ce titre, symptomatiques. Il existe encore une filiation avec les thèses soutenues après la guerre par d’anciens SS. La bête n’est pas morte.

Inévitablement en abordant l’occultisme nazi, on pense au cinéma, à la bd, à la littérature ou aux jeux vidéo qui se sont souvent inspirés de ce sujet. Est-ce qu’ils n’ont pas également un rôle dans la persistance de certains mythes comme la société du Vril, les ovnis nazis, la base secrète nazie en Antarctique ou la quête d’objets mythiques par les SS ?

Vaste question… Peut-être oui, dans une certaine mesure, mais j’aurai tendance à penser que cela est surtout entretenu par la foule de mauvais documentaires, ou de documentaires biaisés, que nous pouvons trouver sur Internet ou sur des chaines comme RMC découverte… Vous parlez du Vril : je ne pense pas qu’un film comme le second Iron Sky, qui y fait référence, soit vu par ceux qui l’ont regardé comme une œuvre à message, montrant une « réalité historique cachée par la science officielle ». Je pourrai faire la même remarque avec le premier Hellboy.

Le souci, à mon humble avis, commence avec ceux qui ont vu/lu/regardé/joué avec des œuvres se nourrissant de ces matériaux et qui décide de se documenter, en particulier sur Internet. Là, ils tombent systématiquement, via les algorithmes des moteurs de recherche, sur des informations biaisées ou fausses. Dans les années 1960 et 1970, mais nous pouvons pousser jusqu’à la fin des années 1980, le curieux se tournait vers le peu de livres disponibles, c’est-à-dire surtout vers les collections dont nous avons parlé précédemment, des revues comme Planète, des études pseudo-scientifiques comme le livre d’André Brissaud, Hitler et l’ordre noir, paru en 1969, celui de René Alleau, Hitler et les sociétés secrètes. Enquête sur les sources occultes du nazisme, réédité en 2014 par un éditeur « sérieux » comme Tallandier ! réédition qui lui donne un certificat de scientificité, malheureusement, ou de « témoignages » prêtant largement à caution comme Hitler m’a dit de Rauschning…

Infos

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